Une partie de mon travail de chercheur consiste à diffuser nos connaissances en astronomie vers le grand public. C’est une mission qui me tient à coeur, car je pense que pour répondre aux défis auquel nous sommes confrontés, qu’ils soient dans le domaine de la santé avec la pandémie de COVID-19 ou dans le domaine environnemental avec la crise climatique, les citoyens doivent être formés à la démarche scientifique. L’astronomie est un excellent moyen pour cela, car elle fascine. On peut, à partir de quelques jolies images du ciel, commencer de longues discussions sur l’existence (probable) de planètes similaires à la Terre ailleurs dans l’univers, ou la naissance et la mort des étoiles. Mais surtout, on peut expliquer, en termes simples, comment ces connaissances se construisent, et comment, plus généralement, on fait le tri entre croyance et connaissances bien établies.
J’interviens régulièrement dans soirées d’astronomie à destination du grand public, ou auprès de classes de collège et de lycée. Cette fois, mon public était un peu particulier: une trentaine d’élèves de grande section de maternelle, dans l’école de ma fille. Quelle activité proposer à des enfants si jeunes ?
Après avoir discuté avec les deux institutrices, nous avons convenu de faire des observations du soleil dans la cour de l’école à la fin du mois de mai. Le temps de mai juin étant un peu capricieux, j’ai dû reporter par deux fois les observations. Mais le 18 juin, j’ai pu enfin installer une lunette solaire dans la cour de l’école.
Installation de la lunette solaire dans la cour de l’école. Il s’agit d’une lunette Lundt 50 mm LS50T H-α, spécifique pour l’observation du soleil. La lunette est connectée à une caméra ZWO ASI et à un ordinateur, afin de voir le soleil directement à l’écran.
D’expérience, je savais qu’il est parfois compliqué d’observer le ciel dans un instrument; l’oeil doit être bien dans l’axe de l’oculaire, ni collé et ni trop loin. Par forcément évident pour des enfants de 4 ou 5 ans. Par ailleurs, avec un groupe de 30 enfants, il m’aurait fallu beaucoup de temps pour les faire passer un à un, et je sais (aussi d’expérience…) qu’il est difficile de retenir l’attention de jeunes enfants plus qu’une dizaine de minutes. J’ai donc choisi d’utiliser, à la place d’un oculaire, une caméra astronomique que j’ai connecté à un ordinateur portable. Ceci nous a permis d’observer le soleil en direct sur l’écran, tel qu’il auraient pu le voir à l’oculaire.
L’année 2024 est une période particulièrement propice pour l’observation du soleil, car nous sommes proche d’un pic d’activité du cycle solaire (ce pic est attendu entre la fin 2024 et le début 2025). Ce surcroît d’activité se manifeste par de nombreuses taches solaires, des protubérances, et également des aurores boréales, dont certaines étaient visibles jusqu’à nos latitudes en mai dernier. Nous avons pu observer plusieurs taches solaires à l’écran. En revanche, les protubérances, moins contrastées, n’étaient pas visibles avec des poses si courtes.
Image du soleil vu avec la caméra. Il s’agit d’une image telle que vue “en direct”, sans traitement particulier. Plusieurs taches solaires, plus sombres, sont visibles sur la photosphère. L’image apparaît en noir et blanc car la caméra utilisée est monochrome. Vu à l’oculaire, le soleil apparaît rougeâtre, car la lunette filtre la lumière autour de la raie Hα à une longueur d’onde de 656 nanomètres, dans la partie rouge du spectre visible.
J’ai ensuite proposé aux enfants de dessiner ce qu’il observaient à sur des gabarits de papier. Tous les enfants ont dessiné de belles taches, certaines très réalistes, d’autres dans un style plus impressionniste. J’apprécie particulièrement le dessin avec des taches en forme de spirales, qui me font penser à la Nuit étoilée de Van Gogh. J’ai expliqué que l’image à l’écran était en noir et blanc car la caméra utilisée est monochrome. Un peu comme les télévisions noir et blanc de notre enfance. Enfin la mienne plutôt, puisque dans la leur, toutes les tablettes affichent des images en millions de couleurs. Qu’à cela ne tienne, ils ont donc ensuite colorié le soleil en jaune ou en rouge, selon leur inspiration du moment.
Quelques dessins du soleil faits par les élèves à partir de nos observations.
Pour finir, je leur ai présenté un petit film que j’avais préparé à partir d’images du satellite SDO de la NASA. Ce satellite est en orbite autour du soleil depuis 2011, et il nous fournit des images à plusieurs longueurs d’onde et en continu (ce satellite n’étant nullement soumis aux caprices de la météo). J’ai produit le film en mettant bout à bout des images de la caméra HMI obtenues toutes les heures entre 1er mai et le 1er juin 2024. Cette instrument observe l’émission continuum de la photosphère à une longueur d’onde de 617 nanomètres, proche de la longueur d’onde observée avec notre lunette.
Film du soleil vu avec la caméra HMI à bord du satellite SDO au cours du mois de mai. La caméra observe l’émission continuum autour de la raie de Fraunhofer du fer neutre (Fe ). Le film couvre une période entre le 1er mai et le 1er juin 2024. Les taches solaires et les facules (zones plus claires) sont visibles; elles changent d’aspect en fonction du temps à cause de l’activité du soleil. Le mouvement apparent des taches et des facules à la surface du soleil est liée à sa rotation sur lui-même, avec une période moyenne de 27 jours.
Pour leur faire comprendre que le mouvement apparent des taches était lié à la rotation du soleil sur lui-même, nous avons dessiné des taches avec un marqueur sur un ballon de baudruche, et nous avons fait tourner le ballon sur lui même. Quelques semaines auparavant, les élèves avaient vu une exposition à Cosmocité sur le mouvement de la lune et des planètes. Quand il a compris que le soleil tournait aussi sur lui-même, un des élèves, sans doute pris d’un vertige, m’a dit:
“Mais alors, la Terre tourne sur elle même, elle tourne autour du soleil, et le soleil tourne aussi sur lui-même ?”
Avec le recul, je pense que la principale difficulté de cette activité était de s’adapter au niveau, très hétérogène, de classe. Comme nous avons observé le soleil indirectement (avec un ordinateur), certains n’ont pas compris ce qu’ils regardaient. Il est vrai qu’avec une caméra monochrome, le soleil ressemble beaucoup… à la pleine lune ! Voici la réponse d’une des institutrice, à ma question sur ce qui pourrait être amélioré:
“Effectivement avec un niveau aussi hétérogène, je pense qu’il faudrait préparer davantage les élèves afin qu’ils comprennent tous que nous observions le soleil. A posteriori, je pense qu’il aurait été intéressant de travailler en amont sur les instruments d’observation. De même, peut-être qu’avant de leur montrer l’image sur l’ordinateur il aurait fallu davantage leur faire prendre conscience qu’il s’agissait de l’image du soleil en temps réel, en leur demandant par exemple de trouver le soleil dans un premier temps, puis d’introduire la nécessaire utilisation de la lunette astronomique.
Cette difficulté mise à part, les enfants semblaient ravis de cette intervention et la plupart a été en capables de ré-expliquer ce qu’ils avaient découvert aux autres enfants, plus jeunes, qui n’avaient pas assisté à l’activité (en maternelle les plus jeunes font la sieste…). Lors de cette restitution, un des enfants, s’est écrié:
“Mais alors, tu es astronaute ?”
Et bien non, j’ai raté la sélection, l’année où j’ai postulé ils ont pris Thomas Pesquet. J’ai donc ré-expliqué la différence entre astronome et astronaute, et je leur ai demandé s’il connaissaient un astronaute (convaincu qu’il citeraient le nom de celui qui m’a piqué le siège dans la capsule Crew Dragon). Une première élève m’a fait une vague description de Buzz l’Eclair. Et puis un autre c’est écrié:
“Moi je connais Neil Armstrong, c’est le premier homme qui a marché sur la lune.”
Et tu as vu les images en noir et blanc ou en couleur ? 📺🚀🌕